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A la recherche des truites ancestrales

Les truites ancestrales

Je me dirige sur le plateau des Mille-Vaches.

Arrivé sur la commune de Gentioux-Pigerolles, je prends conscience que derrière cette nature sauvage se cache une vie âpre. Héritage des hommes et des femmes qui ont connu ces destins de granit. Ici le monument aux morts n’est pas un hymne aux gloires passées. Il y est simplement gravé la vérité: «maudite soit la guerre »

Il est facile d’imaginer, sur cette lande, quelques gaulois affrontant des hordes barbares venues piller les villages.

De mon coté, je m’apprête à aborder un petit ruisseau creusois. Loin de ses semblables, loin des fleuves géants et des rivières capricieuses, le thaurion coule sur le plateau des Mille-Sources. Calmes, serins et imperturbables nous sommes prêts pour notre rencontre.

Je sens sur moi le poids des traditions séculaires. Même libéré de toutes obligations alimentaires, je ne peux décevoir ceux qui m’ont précédé sur cette veine vitale. Ceux-la même qui de leurs efforts ont sculpté cette nature minérale.

Je vais l’entreprendre très en amont de la bien nommée « Rigole du Diable » . Le pêcheur ingénu le trouvera ici tout aussi impitoyable.

Le pont de Senoueix enjambe ce ruisseau comme les truites ont enjambé les siècles pour venir jusqu’à aujourd'hui. Elles ont su éviter tous les pièges et transmettre la vie génération après génération. Moi pêcheur assumé, arriverai-je à déjouer leur méfiance qui seule est garante de leur survie ?

Alors que le brouillard se lève à peine, un voile sombre s’abat sur moi. Je ne leur espère pas un destin funeste mais je ressens comme une gène. Un sentiment culpabilisant qui m’oblige à m’interroger sur le bien-fondé de ma traque inutile et d’une hypothétique souffrance imposée. Mon unique plaisir justifie-t-il ça ? Ma soif de domination et de pouvoir sur la vie, incarnée par ces truites, est elle mon moteur ? est-il moral de se prévaloir d’un quelconque bénéfice glorieux quand seul l’adversaire est mis en danger? Le plaisir simple d’être dans la nature ne serait-il pas le même avec quelques moyens permettant d’immortaliser ces instants plutôt qu’avec une canne de torture ?

J’assume ! Pas ce "j’assume" qui ne fait que acter, non . J’assume, j’accepte les conséquences. Et ce voile sombre en est une. Oui la pêche ne sert que moi et mon égo, au détriment des poissons.

Mais je saute le petit mur de pierre qui accompagne les chemins et les parcelles morales pour arriver dans cette prairie et recevoir en héritage les sensations venues de nos ancêtres et des temps passés. En voila la raison !

Laissant ces interrogations à l’urbain, je me dirige vers l’instant tant attendu.

Aurais-je du choisir la plus noble des pêches pour défier le Thaurion ? Bien plus qu’un roi c’est un creusois. Il est de la classe de ceux qui méritent qu’à la mouche on les côtoie. Mais aujourd’hui, j’ai décidé de m’essayer à l’ultra léger.

0,5 / 5 ; action de pointe ; râpala sera mon halieutique charabia.

J’avance doucement le long de cette musique aquatique. Mon regard cherche sans cesse à identifier une ombre sous-marine. Quand enfin une éclaircie vient lécher les bruyères, le Thaurion laisse apparaitre en lui une truite. Il aura suffit d’un doux mouvement de ce poisson pour qu’en moi l’enfant se retrouve. L’excitation mêlée à l’angoisse efface ma réalité. Peut-être je cherche ici le simple oubli. Enfin je me décide à lancer mon leurre. Raté, il n’est pas dans la bonne veine. La truite est restée calme, à l’abri derrière son rocher. Elle attend comme chaque jour, qu’a portée passe une vie pour s’en régaler. ça sera mon leurre.Je le pose , il descend vers elle, je l’anime, elle le voit, il la dépasse, elle se retourne et d’un bond l’attrape. S’ensuit un combat court mais violent qui finit dans l’épuisette. Je la décroche puis la relâche.Elle repart et moi enfin, je fais corps avec le plateau. Tout est calme, paisible et heureux.

La journée s’écoulera de ratés en décroches, de décroches en prises et de prises en relâches. Qu’il est surprenant et doux de ne pas avoir pensé toute une journée.

Remercier? m’excuser ? profiter ? …En tout cas je recommencerai


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