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Tu voulais faire l'américaine

Tu voulais faire l'americaine.

D’abord franchir, franchir ces vallées qui me conduisent aux pieds des Pyrénées.

Puis gravir, gravir jusqu’une auberge comme on se l’imagine, assise au bas d’une colline.

Les garages ont remplacé les écuries dans les pâturages. Mais le fracas des sabots sur le sol, et le bruit des attelages qui transportaient autre fois, gros moines et aventuriers, raisonnent encore dans le fond du vallon.

Ce soir, seule une nuit me sépare de l’arc en ciel.

Comment est elle arrivée là?

J’imagine le voyage en bateau au travers de l’atlantique, qui l’emmena loin des Amériques, pour finir dans les lacs froids mais accueillant des Bouillouses.

Est ce le souvenir des ses montagnes lointaines qui la décida, ici, à deux pas de l’Espagne, de devenir la plus française des américaines?

Y trouva t elle une autochtone complaisante?

Une nourriture abondante?

De Washington au haut Conflent, de Raystown lake au fleuve de la têt

Dans les Pyrénées elle s’est installée.

Par la fenêtre de l’auberge, j’aperçois le theatre qui a adoubé le simple cycliste, transformé le randonneur en aventurier, et élevé le skieur au rang de héros.

Que va t il devenir de moi simple pêcheur? Vais je conquérir l’Amérique et dompter cette américaine sauvage des Pyrénées?

Pressé de connaitre mon avenir, je m’y jette la canne à la main.

Je remonte, sautant de pierre en pierre comme un enfant, le long du tapis d’eau déroulé devant moi.

J’écoute, je cherche, mes yeux rebondissent sur la surface. Mais rien, rien ne vit. Pas une larve prend son envole pour nous rejoindre dans une éclosion.

La montagne dans sa robe de mariée ne s’est pas dénudée. Cette neige froide maintient chiros et tricopteres dans le lit.

Savourant chaque pas qui me conduit le long de la rivière, j’arrive en tête du lac. Mon esprit enfin vide laisse mon instinct prendre le dessus.

Je ne suis plus l’homme moderne entravé mais le prédateur libre. Je vois maintenant les indices. Ma traque s’accélère.

Le but est proche. les truites se dévoilent. Ce rond caractéristique en surface me décide.

Une légère rotation de mon buste, la soie se tend. Je lève ma canne, un mouvement de mon avant bras décolle la queue de rat. J’exécute une première traction.

Un siiiifflement, la mouche vole.

Arrivée derrière moi, une deuxième traction charge la canne et propulse la mouche en avant.

D’un vol léger mais puissant elle va se poser délicatement.

Une vague, la truite monte, elle ouvre la bouche, ça y est elle gobe. Je ferre, ma soie fend l’eau, la canne plie, le poisson est pris.

Au fur et à mesure du combat elle se rapproche. Je l’espère, je l’imagine, je la sens, je la devine, je le sais s’en est une !

Ironie de l’histoire: C’est le lancé français qui m’a fait « faire l’américaine » !


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